• TUNISIE et "Printemps arabes" : l’hiver social ? janvier 2016

    "Printemps arabes" : l’hiver social ?

    Manifestations de masse contre le chômage dans toute la Tunisie

    Après la mort, dans une manifestation samedi dernier, de Ridha Yahyaoui, jeune homme cherchant un emploi d’enseignant dans la ville de Kasserine dans le sud tunisien, les protestations se sont propagées du sud et de l’ouest de la Tunisie à la capitale Tunis et jeudi à l’ensemble du Pays. Un policier est mort lorsque son véhicule s’est renversé, et un nombre non spécifié de manifestants ont été blessés jeudi lors d’affrontements à Kasserine, où les forces de sécurité avaient tué des dizaines de manifestants durant le soulèvement de 2011.

    « Je suis sans emploi depuis 13 ans, et je suis technicien qualifié. Nous ne voulons pas la charité, seulement notre droit au travail », a dit Mohamed Mdini, un électricien, à l’agence Reuters lors d’une manifestation à Kasserine.

    Après un rassemblement de diplômés d’université au chômage jeudi à Tunis, qui réclamaient des emplois et la chute du régime, l’État a déclaré un couvre-feu de 20 heures à 5 heures hier dans toute la Tunisie. Le ministère de l’Intérieur a averti que les protestations causaient des « dommages aux biens publics et privés ». Il a menacé de poursuivre toute personne défiant le couvre-feu, bien que des manifestants aient déjà défié, à Kasserine, un couvre-feu local déclaré dans leur région plus tôt dans la semaine.

    L’éruption en Tunisie de protestations de masse montre qu’aucun des griefs ayant poussé la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire il y a cinq ans contre la dictature de Ben Ali d’abord, puis contre celle de Moubarak en Égypte, n’a été résolu. Les États-Unis et les principaux pouvoirs européens ont dépensé des milliards de dollars dans des guerres qui ont dévasté la région, de la Libye au Mali. Dans le même temps, les puissances de l’OTAN et la classe capitaliste tunisienne n’ont répondu ni aux besoins sociaux fondamentaux des travailleurs ni respecté les droits démocratiques fondamentaux.

    Après un intermède où le parti islamiste Ennahda a été au pouvoir, le parti de Ben Ali, le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), rebaptisé Nidaa Tounes, est revenu au pouvoir en 2014, avec le soutien d’une bureaucratie syndicale tunisienne corrompue et de groupes de « gauche » de la classe moyenne.

    Les protestations ont débuté il y a une semaine, lorsque Ridha Yahyaoui est mort électrocuté après avoir grimpé sur un poteau pour s’adresser à un rassemblement de chômeurs à qui le ministère de l’Éducation avait refusé des emplois. Il était l’un des sept chômeurs diplômés privés d’emploi après avoir organisé une occupation l’an dernier et une rencontre avec les autorités locales au début de l’année pour présenter des revendications.

    Salem Ayari, le secrétaire général de l’Union des diplômés chômeurs, a dit au Huffington Post–Maghreb que Yahyaoui « avait récemment découvert que son nom avait été retiré de la liste des fichiers à être remis au Premier ministre afin de régulariser leur situation... La liste a été modifiée et manipulée sans consultation avec le maire ou le député qui s’occupaient de la question. »

    La mort tragique de Yahyaoui, comme celle de Bouazizi, a déclenché des manifestations à travers les régions industrielles et minières déprimées du Sud tunisien, où sont situées Kasserine et Sidi Bouzid.

    Des ouvriers de la construction et des journaliers de Béja ont rejoint les manifestations, exigeant des papiers et des conditions de travail normales. Les manifestants ont défilé, bloqué les routes et tenté d’occuper les bâtiments municipaux dans des villes de tout le sud et du centre de la Tunisie, dont Meknassi et Sousse. Lorsque le gouvernement a tenté de mettre fin à ce mouvement mercredi, en offrant des concessions à Kasserine et en promettant de créer quelques milliers d’emplois, les travailleurs d’autres villes de Tunisie ont rejoint le mouvement. Sidi Bouzid, Béja, Kébili, Meknassi, Mazouna, Gabès, Sfax, Sousse ont toutes été la scène de protestations.

    Plusieurs bâtiments publics, à Jendouba et Tozeur entre autre, furent occupés par des étudiants et des chômeurs exigeant des emplois. Les protestations ont également touché des quartiers populaires de Tunis où les manifestants auraient bloqué les routes et mis le feu à un poste de police.

    Le gouvernement s’alarmant de la propagation des protestations à la fin de la semaine, le Président Béji Caïd Essebsi, ancien responsable du régime Ben Ali, a parlé au peuple tunisien dans un discours télévisé le 22 janvier au soir. Prétendant un court instant éprouver de la sympathie pour les masses il a admis que « les chômeurs ne pouvaient pas attendre éternellement », puis il a attaqué des personnes, non identifiées, actives dans les manifestations qui « avaient contribué à attiser les flammes et ordonné des actes de sabotage et de pillage ».

    Essebsi a cyniquement dit qu’il allait créer des emplois sans dépenser d’argent supplémentaire, disant qu’il était sûr que l’État pouvait « trouver les fonds nécessaires, au besoin en les enlevant d’autres projets ». Il a promis cependant que quelle que soit l’action de son gouvernement, ce dernier respecterait « tous ses engagements, financiers et autres, auprès de ses partenaires étrangers », c’est-à-dire les grandes banques et les gouvernements des pays impérialistes d’Europe et d’Amérique.

    Nonobstant les promesses toutes rhétoriques d’Essebsi, les cinq dernières années ont montré de façon concluante que les revendications des masses laborieuses pour les droits fondamentaux, sociaux et démocratiques étaient incompatibles avec la domination capitaliste de l’Afrique du Nord et en particulier avec l’escalade des interventions militaires des puissances impérialistes. La Tunisie a été privée d’investissement et d’emploi, frappée par l’effusion de sang débordant de la Libye voisine après que l’OTAN et ses alliés islamistes y eurent renversé, dans une guerre sanglante, le régime du colonel Mouammar Kadhafi.

    En Tunisie, le chômage est à plus de 15 % (et de plus d’un tiers pour les jeunes), l’économie parallèle équivaut à 54 % du produit intérieur brut et le pouvoir d’achat a chuté de 40 % depuis le début de la révolution, rapporte Tuniscope.

    Les cinq années écoulées depuis l’effondrement du régime Ben Ali ont surtout montré qu’aucune protestation sociale quelle que soit sa force ne peut amener une victoire de la classe ouvrière sans qu’elle ait à sa tête un parti révolutionnaire. Les soulèvements de 2011 en Tunisie et en Égypte étaient de puissantes luttes révolutionnaires mobilisant des masses de travailleurs qui ont rapidement brisé la résistance des forces de sécurité de dictatures redoutées qui semblaient invincibles. Mais en l’absence d’un parti révolutionnaire combattant pour mener la classe ouvrière en Tunisie, en Égypte et au-delà à la prise du pouvoir d’État et la création d’une société socialiste, les deux régimes ont pu finalement se stabiliser. Après que le pouvoir soit brièvement passé dans les mains des islamistes, des personnages de l’entourage des anciens autocrates — Essebsi en Tunisie, et le général Abdel Fattah al-Sisi en Égypte — ont finalement réussi à revenir au pouvoir avec le soutien de diverses organisations de « gauche » petites-bourgeoises.

    Internationalement, la bourgeoisie est bien consciente du rôle joué par ces forces et les a généreusement récompensées. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) se sont partagé le Prix Nobel de la Paix 2015 avec divers groupes d’entreprises et professionnels. Le comité Nobel a salué leur « contribution décisive à la construction d’une démocratie pluraliste en Tunisie ».

    Comme les manifestations tunisiennes le montrent maintenant, l’UGTT et la LTDH n’ont pas construit une démocratie, mais une nouvelle façade pour le retour de l’ancienne dictature, construite sur l’oppression économique intense et la répression de l’opposition de masse de la classe ouvrière. Nonobstant leurs prétentions démocratiques, ils essaient maintenant d’étrangler les protestations et aident à justifier la répression policière en diffusant des histoires horrifiantes de manifestations infiltrées par des terroristes venus de Libye.

    L’UGTT, un pilier du régime de Ben Ali, a publié une déclaration appelant brièvement les exigences des manifestants « légitimes », pour proposer ensuite le déploiement de ses membres autour des bâtiments de l’État et de les protéger contre les manifestants. L’UGTT a dit dans une déclaration qu’elle dénonçait « le pillage et le vol commis par des gangs criminels qui tentent de manipuler la protestation sociale... et fait appel à une mobilisation générale de ses membres pour protéger les installations des institutions publiques et privées ».

    Hamma Hammami, le dirigeant du Parti des travailleurs, élément clé du Front populaire, un regroupement de « gauche » de la classe moyenne qui s’est allié avec Nidaa Tounes avant les élections de 2014, a montré clairement que son parti aussi voulait de nouveau bloquer une révolution en Tunisie. Parlant à Mosaïque FM, Hammami a dit que tandis que les membres du Front populaire « se joignent certes aux protestations », ceci était « avec l’objectif de leur donner une structure, afin qu’ils conservent un caractère pacifique et ne soient rien d’autre ».


     

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