• Kossovo : Le mouvement des barricades-Les 2 millions d’Albanais annoncés en 1999 pour justifier l’attaque de l’Otan étaient un mensonge

     Entretien avec Yves Bataille

     

     

    1) Comment est né le « Mouvement des Barricades »?

    Yves Bataille

      - Le mouvement est né fin juillet après la destruction du poste de Jarinje sur la ligne de démarcation Serbie-Kossovo.

    C’est la deuxième fois que ce poste est pris d’assaut et incendié. La première fois c’était en février 2008 après la déclaration unilatérale d’indépendance de la province occupée.

    Cette fois-ci les fantoches albanais installés par l’Otan ont envoyé leur « force spéciale Rosa » fabriquée par les Américains pour garder ce qu’ils appellent une frontière.

    En riposte, les Serbes ont érigé des barricades et interdit les patrouilles d’Eulex (1), la structure de tutelle américano-occidentale de la colonie. Contrairement à ce que supposerait son acronyme, Eulex est aussi un machin américain.

     

    2) Quelle est la nature de ce mouvement et est-il soutenu dans le reste de la Serbie?

    YB

    - Il ne s’agit pas d’une action marginale. Si l’opération a un soutien massif dans le nord du Kossovo elle dispose aussi d’un large soutien dans le reste de la Serbie. A Belgrade le pouvoir « pro occidental » de Boris Tadić a d’abord essayé de contrôler l’information puis comme les barricades étaient maintenues il a imposé un blackout total sur l‘action et arrêté quelques personnes.

     

    Des médias libres, notamment via Internet, essaient de briser la censure. Les dizaines de barricades du Nord ont la signification suivante: vous nous bloquez, nous vous bloquons. 

    Nous ne voulons pas dépendre des autorités criminelles de Pristina. Il y a plusieurs types de barricades. Les grandes barricades placées aux points chauds comme celles des deux postes de la ligne de démarcation, Jarinje et Brnjak, celle du « pont Austerlitz » sur la rivière Ibar, celle de Dudin krš sur la route de Priština et quelques autres sont de volumineux monticules de gravier et de parpaings bétonnés ou truffés de coupe de bois qui empêchent la circulation.

     

    De vieux camions, autobus et engins de terrassement s’ajoutent généralement au dispositif. Les autres barricades sont des points de contrôle qui filtrent les allées et venues.

    Les barricades  interdisent à Eulex de passer, ce qui fait que les postes de la ligne de démarcation doivent être ravitaillés par hélicoptère. La circulation serbe hors de la ligne de démarcation se fait par les « routes alternatives », des sentiers de montagne aménagés qui posent problème aux poids lourds quand le temps est mauvais.

    Mais ça marche. Les barricades ne se limitent pas à des barricades. Elles sont appuyées par un système de garde et de veille permanente, jour et nuit, avec une rotation des volontaires et un système d’alarme qui permet de mobiliser des milliers de volontaires sur les points chauds en quelques minutes si l‘alerte est donnée.

    Dans les églises les popes sont chargés de faire sonner les cloches. Particularité, si l’Otan (la « Kfor »)(2) démantèle une barricade, une nouvelle barricade est rapidement érigée à proximité et des drapeaux plantés dessus.

     

    Ainsi s’en prendre aux barricades ne sert à rien. De solides banderoles hydrophobes avec des slogans simples et lisibles comme « Otan Dégage! », « Stop Kfor! Stop Eulex! » « Résolution 1244! » ou « Référendum!» toutes aux couleurs de la Serbie sont accrochées aux alentours. Le Mouvement repose sur la méthode de la Défense par action civile, la Dac, avec ses outils comme les tentes qui permettent de se reposer, se réchauffer et au besoin se soigner.

     

    Une résistance par action civile qui n’est pas sans rappeler les théories de la « guerre civilisée » de l’américain Gene Sharp, le père des « révolutions de couleur » mais là le mouvement se déploie contre ses amis.

     

    Toutes les professions sont mobilisées, et en premier les médecins et les pompiers. Le Mouvement des Barricades n’est pas une fin en soi. A son septième mois il débouchera sur une initiative politique qui irrite fort la dite communauté internationale et ses clones de Belgrade: la tenue le 14 février d’un référendum posant cette question:

    « Êtes-vous pour les institutions de la République du Kossovo au nord du Kossovo et Métochie? ».

    Le Nord va se retrouver à sa façon dans la position du Pridniestrovie (« Transnistrie ») à l’est de la Moldavie avec une territoire, un drapeau, un hymne national, une monnaie, des institutions, une administration.

    Il manquera une armée mais peut-être que l’embryon d’armée populaire se trouve au sein du Mouvement des Barricades… En tout cas il incarne la Résistance.

     

    3) Quelle est la position du pouvoir de Belgrade?

     

    YB

      - Le pouvoir de Tadić ne reconnait pas l’indépendance du Kossovo parce qu’il sait que s’il le faisait il serait balayé aux prochaines élections qui auront lieu cette année.

    Le gouvernement est soumis à une double pression, celle des Etats-Unis et de leur suite et celle de l’opinion serbe. Alors il temporise.

     

    Il « négocie » à Bruxelles avec les trafiquants d’organes albanais. Produit de la main étrangère et de combinaisons parlementaires, le gouvernement Tadić n’a obtenu une courte majorité qu’avec le ralliement des socialistes achetés et corrompus du SPS, le parti fondé par Slobodan Milosević.

     

    Les tuteurs américano-occidentaux ne voulaient surtout pas d’un gouvernement socialiste national avec les Radicaux. Ils ont œuvré pour que les socialistes soient « récompensés » (argent et ministères) et pour détruire le Parti radical. Ils ont provoqué en son sein une scission « de droite » et cela a donné le Parti progressiste (SNS) du tandem Nikolic - Vucic, sur le modèle de l’Alliance Nationale en Italie.

     

    4) Quelle est l'état du courant national en Serbie ?

    YB

    - Le Mouvement national serbe a ses propres caractéristiques mais depuis peu il subit l’influence bénéfique des idées venues d’ailleurs, en particulier de Russie et du secteur  national révolutionnaire d’Italie et de France.

     

    L’évolution est notable: jusqu’aux bombardements de l’Otan en 1999, le mouvement nationaliste était dominé par le culte du passé, la geste héroïque de la résistance aux Turcs et aux Austro-Allemands, les Tchetniks de Draza Mihailović, le refuge dans l’Orthodoxie.

     

    Mais les secteurs patriotiques de l’ancienne gauche et les nationalistes éclairés ont fini par se rejoindre et mener une réflexion géopolitique qui dévoile un nouveau champ de vision ouvert aux  grands espaces et à l’univers.

     

    C’est ainsi que le Mouvement national serbe s’est aperçu que le Mouvement des non alignés de la période titiste n’était pas dépourvu d’intérêt.

    Et les socialistes ont (re)découvert le nationalisme. Les guerres d’agression contre l’Irak, la Libye et maintenant la Syrie ont provoqué un élan de solidarité qui s’est branché là-dessus.

     

    La Libye de Kadhafi a mobilisé un nombre de militants plus important qu’ailleurs. On peut voir sur les murs de Kosovska Mitrovica des fresques murales à la gloire de la Jamahirya.

     

    5) Existe-t-il au sein de la population albanaise des courants eurasistes favorables au rétablissement de la Yougoslavie?

    YB

    - Je n’en connais pas. La position de ceux que l’on pourrait présenter comme des  « nationalistes albanais » est intenable et dans tous les cas inacceptable: ces « nationalistes » sont aujourd’hui les seuls au monde, si l’on excepte les Israéliens, à applaudir les Américains, à brandir des drapeaux yankees.

     

    Leur identité ethnique, plus que la religieuse, les sépare des Slaves de l’ex Yougoslavie.

     

    Comme hier les bandits de Lucky Luciano en Sicile, ils ont servi de cheval de Troie à l’envahisseur; ils baignent dans une société criminelle où la seule industrie est celle de la prostitution et de la drogue; ils ont érigé une copie en plastic de la statue de la Liberté de New York à l’entrée de Priština nettoyée des Serbes; ils ont donné les noms de Clinton, d’Albright et de Clark à leurs rues.

     

    Au titre de l’aide à la reconstruction l’Union européenne, les Etats-Unis et les Pétromonarchies arabes ont déversé des millions d’euros et de dollars en partie détournés par la Mafia.

     

    L’Arabie Séoudite a répandu un flot d’argent pour créer des mosquées selon la norme wahhabite. Des groupes islamiques existent comme en Bosnie mais ils sont minoritaires.

     

    J’en profite pour faire une remarque. Les Albanais sont moins nombreux qu’ils ne le prétendaient: depuis 1999, 250.000 Serbes sont partis ou ont été chassés. Un nombre infime a pu revenir (« Povratak », le retour) Il reste aujourd’hui 170.000 Serbes.

     

    Les 2 millions d’Albanais annoncés en 1999 pour justifier l’attaque de l’Otan étaient un mensonge puisqu’un recensement albanais a relevé en avril 2011 1.700.000 habitants (le Nord serbe a refusé le recensement).

     

    Comme on sait que depuis 1999 une partie de la population de l’Albanie déversée dans la province pour toucher subsides et subventions de la « communauté internationale » s’est ajoutée à ceux qui avaient déjà fait le saut vers le nord lors des colonisations de peuplement antérieures, comme on sait aussi que très peu d’Albanais du Kossovo ont pu émigrer en Occident pour des raisons de passeport et de visa, on doit en conclure que les chiffres étaient faux.

     

    Ce mensonge de taille, largement repris par la presse occidentale, a facilité le nouveau nettoyage ethnique des Serbes et des minorités ethniques non albanaises. Nouveau nettoyage car, constantes de l’Histoire, les « nationalistes albanais » sont les continuateurs de ceux qui ont toujours essayé d’étendre leur domaine vers le nord par l’immigration et l’expulsion des Serbes.

     

    Même s’ils se sont révoltés à de courts moments contre les envahisseurs de la région (contre les Ottomans, les communistes albanais d’Enver Hodja aidés par les partisans yougoslaves de Tito furent eux très minoritaires contre les forces de l’axe qui s‘appuyaient sur les Ballistes).

     

    Alors refaire la Yougoslavie avec les émules de ces Albanais fourriers des invasions et des occupations n’est pas à l’ordre du jour.

     

    Les choses pourront un jour s’arranger avec les autres nationalités mais pour le groupe albanais tel qu’il se présente, ethnocentriste, grégaire et « américanolâtre » je ne vois pas comment. Le regard des Shiptars (4) est tourné vers les Etats-Unis, pas vers l’Eurasie.

     

    Les Américains leur ont fait croire qu’ils auraient droit à une Grande Albanie au détriment des Serbes, des Monténégrins, des Macédoniens et des Grecs  - au détriment de tous les voisins de l‘Albanie - et ils en profitent puisque tout leur est permis.

     

    Je crois qu’il faut rendre hommage à un homme qui a été une sorte de précurseur, je veux parler de Dragoš Kalajić. Dragoš a introduit en Serbie dans les années 1990 une matière doctrinale nouvelle d’essence nationale européenne à un moment où le nationalisme se réduisait à l’évocation des batailles du passé et au soutien à Milosev.

     

    Un soutien contraint et forcé car l’attaque américano-occidentale obligeait à le défendre. Mais le régime statique de Slobodan Milosević n’était porteur d’aucune vue du monde, d’aucun projet politique.

     

    Dans le même temps, un combattant issu de la Milice des Aigles Blancs, Dragoslav Bokan, a joué un rôle important en conjuguant art et politique, nationalisme et bolchévisme dans des revues expérimentales.

     

    Une ancienne conseillère de Milosević, Smilja Abramov, a fait pour sa part un travail essentiel de documentation sur les cercles mondialistes et opaques comme Bilderberg, Trilatérale, Opus Dei. Cela s’est traduit par des livres.

     

    Un Institut d’Etudes Géopolitique a vu le jour dans les années de la guerre mais il devait se saborder après les bombardements (1999).

     

    Le fondateur du groupe d’études marxiste révolutionnaire Praxis (époque de Tito), Mihailo Marković, avec lequel j’ai pu avoir pendant des années de nombreuses et intéressantes conversations, avait évolué à la faveur de la crise (éclatement de la Yougoslavie, embargo, guerres séparatistes de l’Occident) vers une intéressante synthèse du socialisme et de la nation. Mihailo a joué un rôle important dans la manière d’articuler le discours et d’argumenter.

     

    D’autre part des journaux comme Ogledalo (aujourd’hui disparu) et Geopolitika de Slobodan Er, des sites internet d’information ou de groupes militants comme Srpska Politika, Apisgroup, Vidovdan, Dveri, 1389, Nasi -1389, Obraz, Nova Srpska Politika Misao, Pokret za Srbiju etc ont joué un rôle indéniable dans l’information et la diffusion d’arguments novateurs. On notera aussi en ce moment l’importance des réseaux sociaux comme Facebook pour l’essaimage des idées.

     

    Je peux ajouter que par mes fréquentes interventions politico-médiatique, de 1993 à aujourd’hui, j’ai introduit dans le Mouvement national serbe l’approche géopolitique et sorélienne des faits. Le russe Alexandre Douguine est venu à Belgrade où ses principaux livres ont été traduits.

     

    Il a tenu des conférences, rencontré du monde. Les échanges avec des Russes, des Français et des Italiens, en particulier ceux du groupe Eurasia, se sont développés avec bénéfice mutuel.

     

    Ce travail politique en amont ainsi que la pérennité de la crise (un pays sans frontières et un peuple qui se voit en permanence accusé et attaqué) expliquent la vigueur de la pensée nationale et l’essor des blogues se réclamant du nouveau nationalisme et de l’Eurasisme.

     

    Le thème et les perspectives de l’Eurasisme sont donc en ce moment largement discutés. L’Eurasisme est vu comme un projet fondamentalement anti-occidental et non aligné reliant la Serbie à la Russie et à une autre Europe. Un mouvement de libération nationale.

     

    Le Mouvement national serbe a un avantage sur ceux d’Italie et surtout de France, il bénéficie du soutien de nombreux intellectuels. Un domaine où les Américains ont échoué ici c’est le Front culturel.

     

    Cela ne veut pas dire que les nuisances américano-occidentales ne sont pas véhiculées. Elles le sont via les médias audio-visuels « libres et démocratiques » aux mains de sociétés capitalistes anglo-saxonnes et allemandes. Mais en dehors de ce placage artificiel, il y a dans les élites réelles et dans le peuple un réflexe de rejet de la sous-culture occidentale. Ainsi la conscience verticale, la « mémoire la plus longue » et la projection vers le futur s'harmonisent.

     

     La poésie, les chansons traditionnelles et le folklore vivant sont des armes de destruction massives que l’impérialisme américano-occidental ne peut bombarder.

     

    L’Usaid (ambassade américaine), Ned (3) et la Fondation Soros ont  dépensé beaucoup d’argent pour corrompre le secteur culturel comme ils avaient corrompu le secteur politique (politicien) et financier mais leurs représentants ont fini par avouer en privé un échec sur la cible.

     

    Il faut ajouter que si les nationalistes sont représentés au parlement avec le Parti radical serbe (Srs) affaibli par une scission de « droite nationale », le cœur du Mouvement est extra-parlementaire.

     

    On le retrouve dans une foule d’associations et de groupes effervescents. Le Mouvement des Barricades du Kossovo, pour ce qui le concerne, est un mouvement basiste et autonome impulsé par des hommes et des femmes du peuple en-dehors et au-dessus des partis.

     

    Apparenté à la « résistance sans chefs », il ne se réduit pas à de petites cellules sans lien entre elles mais articule sur le terrain des groupes solidaires et autogérés. Dans la situation de détresse où il se trouve, le peuple a pris en main lui-même son destin. Ceux qui dans les partis refusent l’irrédentisme albanais, l’Otan et l’Ue l’appuient mais ils n’en sont pas le moteur .

     

     

     

    6) Que deviennent les autres enclaves serbes au Kossovo ?
     

    YB

    - Le Nord n’est pas une enclave. Il jouxte la Serbie. Les enclaves serbes, ce sont des îles et des îlots au sud de la rivière Ibar qui partage en deux la ville de Kosovska Mitrovica. La principale en étendue, celle de Strpce, 10.000 habitants, se situe au flanc de la montagne Sar Planina qui fait frontière avec la Macédoine.

     

    Strpce c’est une douzaine de villages majoritairement serbes qui ont survécu aux bombardements de de 1999 et aux nettoyages ethniques de 1999 et de 2004.

     

    Non loin de là mais en dehors on trouve l’enclave de Velika Hoča, un joli village médiéval préservé, avec 14 églises orthodoxes et une spécialité qui remonte au Moyen âge, la fabrication du vin. Le village est entouré de vignes.

     

    Au centre-est du Kossovo à quelques kilomètres de Pristina, il y a aussi Gračanica, haut lieu de l’Orthodoxe serbe, enclave étendue mais poreuse, quelques 30.000 habitants. Les autres enclaves sont éparses.

     

    Ce sont soit des villages complètement isolés, comme Goraždevac, 1000 habitants à 6 kilomètres de Peć, soit des morceaux d’enclaves, des quartiers-ghettos  comme celui de la colline d’ Orahovac où ne survivent plus depuis 2004, dans des conditions extrêmement précaires, que 400 Serbes.

     

    Là un Serbe m’a montré la rue à 40 mètres et m’a dit: « tu vois ce coin, mon frère est allé là il y a deux ans et il n’en est jamais revenu ».

     

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