• Les révolutions arabes en Tunisie, en Egypte, «La lampe d’Aladin»

    Les partis islamistes vainqueurs en Tunisie et en Égypte donnaient l’impression d’être complexés par les conditions de leur victoire (pas assez nette dans le premier cas, compromettante dans le second) et effrayés par les problèmes qui les attendent.

    Les révolutions arabes en Tunisie, en Egypte, «La lampe d’Aladin» 

    le 25 janvier 2012 à 6:01 


    Ils ont fait dans leurs discours et leurs déclarations à la presse, surtout occidentale, les premières concessions en se voulant rassurants sur l’Etat de droit, la société civile, la démocratie et les accords internationaux.

    D’où un certain adoucissement de leurs propos. Ils n’ignorent pas qu’ils vont être observés comme des extraterrestres, qu’aucun faux pas ne passera inaperçu, et qu’aucune erreur ne leur sera pardonnée.

    La «solution islamique» qu’ils brandissaient comme une lampe d’Aladin, ils vont devoir la mettre en place et en démontrer rapidement l’efficacité sinon personne ne les croira plus, et eux-mêmes peut-être cesseront d’y croire.

    Car grande sera leur déconvenue lorsqu’ils s’apercevront que la lampe mirifique est vide, qu’il n’en sort aucun djinn faiseur de prodiges, qu’il ne tombe rien du ciel, et qu’ils devront tout faire eux-mêmes.

    Les despotes n’ont pas laissé les caisses pleines, une administration performante et une économie dynamique, mais d’énormes problèmes, sans parler des traumatismes occasionnés par leur résistance à la contestation populaire.

    C’est de problèmes d’emplois, de logement, de dette extérieure, de rentrées en devises et autres «patates chaudes» que les islamistes ont hérité. Or, leur savoir-faire en matière de gestion des affaires publiques est modeste.

    Prêcher la bonne parole, raconter en boucle les merveilleuses histoires d’un passé mythifié et momifié, exhorter les gens à l’observance des prescriptions religieuses et aux signes extérieurs de religiosité, etc. ne suffira pas et ne pourra pas tenir lieu de programme de gouvernement.

    Les opérations caritatives ponctuelles, l’aide aux nécessiteux, les actions de bienfaisance ambulatoires et intermittentes, etc. ne rimeront plus à rien sauf à en faire bénéficier toute la nation. Le background de secouriste n’est plus de mise, il faut déployer de véritables aptitudes opérationnelles pour faire face aux urgences brûlantes et aux attentes pressantes.

    L’attirail de charité devra être remplacé par une batterie d’instruments de gouvernement efficients, sinon c’est l’échec assuré et peut-être une nouvelle révolution.

    Le voile pour les femmes, la barbe et la calotte blanche pour les hommes, la traque des couples «suspects», la généralisation des salles de prière sur les lieux de travail, et même la libération de la Palestine peuvent attendre.

    Ce qui urge, c’est de faire redémarrer l’économie pour que les gens ne crèvent pas de faim. Il va falloir agir sur la base de lois, mettre au point des méthodes de travail, des programmes d’action et des plans économiques, assurer le fonctionnement du service public sur tout le territoire, faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, et mille autres soucis quotidiens.

    Sans parler des inévitables tiraillements avec les partis qui se sont alliés à eux. Ayant placé la barre trop haut en laissant croire à des masses crédules qu’Allah allait regarder de leur côté et multiplier ses bénédictions sur elles pour avoir voté en faveur de l’islam, les nouveaux dirigeants vont devoir à tout le moins faire mieux que l’ancien régime.

    Or, en prenant les rênes du gouvernement, ils vont tout de suite se heurter aux réalités, à l’impatience des citoyens, à la rareté des moyens, à la crise économique et financière mondiale, à la baisse drastique des ressources du tourisme…

    Ils prendront alors conscience de l’inanité des discours moralisateurs, de l’exhibition ostentatoire de la dévotion, et des risques et périls induits par des promesses irréalistes. Ils découvriront que les affaires humaines sont trop fluctuantes pour être régies par des règles immuables, qu’il y a tant de contraintes, d’imprévus, d’évolutions rapides dans la vie et dans le monde.

    Confrontés à l’âpreté des relations internationales, ils constateront qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, même chez eux. Les islamistes prétendaient incarner la troisième voie entre le socialisme et le capitalisme, et être une alternative à l’Occident.

    Voici que l’opportunité d’en faire la démonstration devant leurs peuples et l’humanité leur est offerte. Tant que la problématique de l’islam, «religion et Etat», «foi et monde», était débattue in abstracto, ils étaient imbattables.

    Maintenant qu’elle va devoir être abordée sous l’angle pratique, elle commence à donner des cheveux blancs aux plus lucides d’entre eux qui n’en avaient pas.

    L’affrontement ne va plus être idéologique, culturel ou rhétorique, il va être politique, économique et diplomatique. On ne sera plus dans la casuistique, pliant devant le principe d’autorité, mais dans le réel, le vivant et le mouvant.

    Le débat portera sur des questions précises comme l’emploi des jeunes, les fins de mois des travailleurs, le pouvoir d’achat, les conditions de vie des citoyens, les taux du chômage et de l’inflation, les indices de développement humain, l’attrait des investisseurs étrangers… Le critère entre le vrai et le faux sera la gestion des affaires publiques et ses résultats, et non telle ou telle profession de foi.

    Arrivés au pouvoir par la voie des urnes, ils ne pourront pas espérer retirer l’échelle après s’en être servis pour grimper. Ils ne pourront pas vouloir abolir la démocratie sans voir se soulever contre eux les autres partis, les citoyens qui n’ont pas voté pour eux, les instances internationales et l’opinion publique mondiale. I

    ls se trompent ceux qui, parmi eux, pensent qu’ils pourront rester au pouvoir par la force. Ils l’auraient gardé s’ils l’avaient conquis de haute lutte.

    Or ils ne l’ont pas conquis, ils n’ont pas vaincu le despote, c’est «le peuple facebook» qui l’a vaincu et le vote atavique qui leur a confié les clés du pays dans l’espoir d’une vie meilleure, voire de résultats miraculeux.

    Ils auront juste été les premiers bénéficiaires de l’alternance. Ils céderont la place un jour, peut-être aux prochaines élections, sauf à réussir spectaculairement, en quel cas ils seront reconduits pour le bonheur de leurs électeurs et du reste du monde.

    Autre source de problèmes pour les islamistes devenus «modérés» par la force des choses : ils perdront leur «authenticité» aussitôt qu’ils commenceront à donner suite aux «concessions» faites publiquement.

    S’ils reprennent à leur compte les notions de république, de démocratie, de tolérance, d’élections, de libertés publiques, de droits de la femme, etc., qu’est-ce qu’il leur restera d’islamiste ou même d’islamique ?

    En transigeant sur les questions de l’héritage, de l’adoption et des châtiments corporels comme ils l’ont promis, ils perdront le droit à l’utilisation du label «islamiste». Celui-ci ne couvre que les produits d’origine contrôlée.

    Or, par rapport aux critères de distinction du musulman du non-musulman enseignés par leurs maîtres à penser, ils sont dans la contrefaçon, dans le «kofr», le reniement et l’opportunisme. Ils seront dès lors confrontés à la surenchère des radicaux de leur pays et de l’étranger qui se poseront en censeurs vigilants de leurs paroles et en juges implacables de leurs actions.

    C’est de là que viendront les plus vives oppositions, et non de ceux qu’ils croient être leurs ennemis de toujours : les laïcs.

    Ces alter ego les sommeront d’appliquer l’ensemble des dispositions coraniques, à commencer par le voile de la femme, l’interdiction de l’alcool, la suppression de la mixité, la discrimination envers les adeptes des autres confessions, les châtiments corporels, etc. Ils réclameront l’application en bloc et dans le détail de toutes les prescriptions de la charia, y compris celles qui dresseront contre eux la communauté internationale.

    Ils tireront leur argument massue du verset : «Croirez-vous en une partie du Livre saint et pas en l’autre ?» Ce qui reste d’al-Qaïda ne tardera pas non plus à s’en prendre à eux.

    Il leur arrivera ce qui est arrivé au communisme lorsqu’il a abandonné sa pureté et sa dureté avec les réformes de Gorbatchev (Perestroika et Glasnost).

    Le doute s’étant introduit dans la doctrine comme le ver dans le fruit, tout s’est écroulé un jour. Enfin, les ambitions personnelles, le goût du pouvoir et l’embourgeoisement accompliront leur travail d’usure et de corruption sur les êtres humains pareils aux autres qu’ils sont.

    Avec le temps, ils se banaliseront et se démonétiseront. A ce moment-là, on leur en voudra plus qu’à l’ancien régime, plus qu’aux partis qui auront gouverné avec eux, car leurs électeurs estimeront avoir été trahis dans ce qu’ils ont de plus cher : leur idée de l’islam. C’est devenu une mode, tous les partis islamistes disent vouloir s’inspirer de l’expérience de l’AKP en Turquie. AKP signifie «Parti de la justice et du développement ».

    En Égypte, les Frères musulmans ont appelé leur parti Parti de la justice et de la liberté, au Maroc le parti qui a remporté les élections s’appelle Parti de la justice et du développement, et en Libye le parti nouvellement créé porte le nom de Parti pour le développement et la réforme.

    Si le qualificatif islamique a disparu des appellations, ce n’est pas un pur hasard mais un signe des temps : on veut changer d’enseigne. Le modèle turc est cité en exemple d’abord parce qu’il n’y en a pas d’autre, ensuite pour rassurer sur leurs propres intentions, et enfin pour faire croire aux masses qu’avec un gouvernement islamiste leur fortune est faite ici-bas et dans l’au-delà.

    Le message est : une nation ne peut que prospérer si elle est gouvernée au nom d’Allah. Et c’est vrai !

    La Turquie a réalisé des avancées sociales, économiques et diplomatiques considérables au cours de la dernière décennie, correspondant justement à la gouvernance islamiste. Elle occupe aujourd’hui la 16e place dans le classement économique mondial et la 6e en Europe.

    Malheureusement, l’économie turque n’est pas une économie islamique et ses performances ne sont pas dues à l’islamisme. C’est une économie de marché aussi classique et libérale que celles des pays européens auxquelles elle est étroitement liée.

    Il n’y a d’islamique dans la bonne gouvernance turque que les convictions personnelles des membres de l’AKP. Ce n’est pas pour amoindrir le mérite d’Erdogan, de Gül et de leurs équipes qui ont démontré qu’islam et démocratie étaient compatibles, mais pour garder une vue claire et objective des choses.

    Quand on se promène aujourd’hui à Istanbul ou à Ankara, rien n’indique que l’on est dans un pays musulman s’il n’y avait les mosquées et le voile féminin. Teyyip Erdogan n’est pas Aladin, et il n’a pas trouvé la lampe merveilleuse d’où sort à la demande un génie bienfaisant qui réalise des miracles.

    Il a appliqué les règles de l’économie de marché avec le sérieux qui sied à un pays qui a une haute idée de lui-même, qui a administré durant des siècles un empire composé d’une trentaine de pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe, et qui a su mettre à profit ses avantages comparatifs.

    La Turquie islamiste n’a pas inventé une nouvelle économie, ni déposé beaucoup de brevets d’invention, elle a fait, toutes proportions gardées, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, c’est-à-dire développé des niches de compétitivité qui lui ont ouvert les marchés européens et arabes.

    Elle a connu une forte poussée de son taux de croissance (7% en 2011) et un énorme bond en avant de ses exportations, mais elle n’est pas à l’abri de la crise européenne. Ses exportations en dépendent à 50%.

    Actuellement, l’inflation et le déficit budgétaire plafonnent à 10% et sa monnaie, la livre, vient de perdre près du quart de sa valeur par rapport au dollar. Si l’euro continue de s’affaiblir et la croissance européenne de baisser, ses exportations chuteront dans des proportions importantes et rendront son taux de croissance négatif.

    Les prévisions officielles annoncent pour 2012 un taux de croissance de 4%, tandis que le FMI le situe autour de 2%.

    L’islamisme turc n’est pas arrivé au pouvoir à la faveur d’une révolution, mais par la voie démocratique et après une lente évolution. Il a un long cheminement derrière lui, fait d’apprentissage, de victoires et d’échecs dont il a su tirer les enseignements. Le premier parti politique islamiste est apparu en 1970 sous le nom de «Parti de l’ordre national».

    L’année suivante, il est dissous. En 1972, le Parti du salut national est créé par Necmetin Erbakan et présente des candidats à l’élection législative de 1973 où il obtient 11,8% des voix, score qui le place au troisième rang des partis vainqueurs.

    Les islamistes font leur entrée au gouvernement pour la première fois en s’alliant à d’autres formations. De 1983 à 1990, le Parti de la mère patrie gouverne avec succès sous la direction de Turgut Özal qui a été Premier ministre puis président de la République.

    En 1997, le Parti de la prospérité (Refah) d’Erbakan, dans lequel militent Erdogan et Gül, est dissous et Erbakan renversé parce qu’il voulait supprimer l’article 2 de la Constitution relatif à la laïcité. Ce dernier était en outre opposé à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

    En 2001, les deux amis créent l’AKP qui se réclame des idées modérées et de l’œuvre de Turgut Özal et prennent leurs distances des positions jugées extrémistes d’Erbakan.

    En 2002, la nouvelle formation politique gagne les législatives. Elle en est à son troisième mandat qui expirera en 2014. L’AKP n’a pas gagné l’adhésion de la majorité des Turcs et le respect international en fanatisant ses membres, en opposant les croyants aux non-croyants, en promettant de bouleverser la vie des Turcs, en s’engageant à rétablir le califat (eux qui l’ont détenu jusqu’en 1923) mais en se tournant vers les défis du monde moderne et en s’appropriant les attributs de la modernité.

    Il n’a pas été infecté par le salafisme et le djihadisme comme les partis islamistes apparus dans le monde arabe. Dans la Turquie d’aujourd’hui, il existe 6 000 journaux quotidiens, 200 chaînes de télévision locales et 1 200 radios, ce qui renseigne sur le pluralisme et le climat de liberté qui y règnent.

    Deux facteurs capitaux, dont ne bénéficieront pas les partis islamistes arabes, sont à l’origine du succès de l’islamisme turc : la laïcité et le processus d’adhésion à l’UE.

    La laïcité a servi l’AKP plus qu’elle ne l’a desservi, contrairement à ce qu’on peut penser. Elle l’a prémuni contre la tentation théocratique (dans le pays qui fut pendant des siècles le siège du califat), le charlatanisme dont sont coutumiers les partis religieux arabes, et l’hostilité de la communauté internationale.

    Elle lui a fermé la voix de l’obscurantisme et lui a assigné une ligne rouge à ne pas franchir, celle des libertés individuelles.

    D’un autre côté, la laïcité l’a innocenté aux yeux des islamistes radicaux qui ne pouvaient pas lui reprocher de ne pas appliquer la chariâ puisqu’il était censé avoir une baïonnette sur la gorge. Fort opportunément, elle le libérait de l’embarrassante obligation d’avoir à appliquer des prescriptions, coraniques certes, mais non moins inapplicables de nos jours : amputations, lapidation, statut de «dhimmi» pour les non-musulmans, etc.

    C’est pourquoi, lors de sa récente tournée dans les pays arabes où la révolution a triomphé, le Premier ministre turc a cru bon de la recommander aux partis islamistes qui n’ont pas dû le comprendre bien sûr.

    Quant au processus d’adhésion à l’UE, il a induit une mise à niveau du dispositif juridique et institutionnel de la Turquie visant à l’harmoniser avec celui des Etats-membres de l’Union européenne. Il lui a balisé le chemin vers l’économie de marché mais, plus important encore, il a protégé l’AKP des interventions intempestives de l’armée.

    Le gouvernement, accrocheur dans sa démarche d’adhésion à l’UE pendant une décennie, semble s’en désintéresser étrangement depuis quelque temps. Et si ce n’était qu’une manœuvre intelligente pour se libérer de la menace militaire ?

    Car entretemps l’armée a perdu l’une après l’autre ses prérogatives régaliennes sur la vie politique et n’est plus la garante de la Constitution. Elle est rentrée dans les rangs et c’est elle qui dépend désormais du pouvoir civil. En septembre 2010, une réforme constitutionnelle avait rendu ses membres justiciables des tribunaux civils.

    C’était la première étape. Deux mois après la victoire de l’AKP aux législatives de juin 2011, le gouvernement engage une purge de grande ampleur contre le commandement militaire suprême. Le chef d’état-major et les commandants des trois armes (terre, air, mer) sont acculés à la démission, tandis que 250 officiers supérieurs (dont une quarantaine de généraux) sont incarcérés pour «complot contre le gouvernement».

    C’était la deuxième étape. Il y a une vingtaine de jours, c’était au tour de l’ancien patron de l’armée, chose inimaginable il y a un an, d’être arrêté et jeté en prison sous l’accusation de «complot terroriste contre le gouvernement».

    C’était le coup de grâce : l’archétype d’une armée au-dessus de tout et de tous depuis la création de la Turquie a été brisé. Une nouvelle Constitution est en cours d’élaboration dont la rédaction a été confiée aux partis représentés au parlement.

    Elle remplacera celle rédigée par les militaires en 1982 et dessinera le nouveau visage de la Turquie. On en connaîtra la teneur cette année. Ceux qui aimaient à dire que les militaires en Égypte et en Algérie doivent, pour faire contrepoids aux islamistes, prendre exemple sur l’armée turque doivent être bien embarrassés.

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